Manga Horror Show : la représentation du Mal
On se retrouve en ce samedi pour un nouveau numéro de Manga Horror Show. Après avoir évoqué les diverses craintes que l’on pouvait avoir dans les titres d’horreur, il est grand temps de partir vers de nouveaux horizons. Cependant, on ne va pas tant s’éloigner que ça. On va surtout aller de l’autre côté du miroir pour aborder ces œuvres où le monstre ne se tient pas devant nous, mais à côté. En effet, il existe pas mal de séries qui souhaitent nous faire suivre un anti-héros ou même un méchant. La peur n’est donc plus subie par le lecteur, mais il accompagne celui qui transmet celle-ci aux autres personnages de l’histoire. Un élément très intéressant à analyser et qui va permettre d’entrevoir de nouvelles possibilités à ce style qui est décidément plein de surprises. Comme on a pu le dire dans nos précédentes chroniques, il y a toujours une fascination presque morbide pour l’angoisse. Contempler celui qui va donc insuffler va créer un sentiment très étrange chez le spectateur qui est tiraillé entre son malaise à suivre un tel protagoniste et le désir de voir jusqu’où il ira. On espère donc que vous êtes toujours bien accroché, car on aborde dès maintenant le rôle de la peur quand celle-ci ne nous vise pas directement.
Quand les forces obscures prennent le pouvoir
On pourrait croire que créer un récit où les héros sont des ennemis à abattre sont peu nombreux, mais la réalité est tout autre. Il y a énormément d’exemples où les agents du mal ou autres êtres peu recommandables se dressent en tant que figure principale d’un manga. Ceci est loin d’être anodin, car cela éveille toujours la curiosité du lecteur de voir comment un auteur peut donner vie à un scénario reposant sur des actes malveillants ou qui vont à l’encontre de notre sens moral. Il est ainsi captivant de voir que l’on n’est plus du côté des gens qui subissent directement la peur qui émane de ces figures, mais que l’on marche à côté de ces derniers. En faisant ça, le ou la mangaka souhaite nous montrer une autre forme d’angoisse où l’on reste témoin sans rien pouvoir faire. A l’image d’un spectateur restant stoïque devant un acte effroyable, on nous met dans une position qui va créer une autre forme de souffrance. Celle de ne pouvoir empêcher de tels agissements. C’est là qu’entre en ligne de compte l’imagination de l’artiste derrière ces planches. Par sa créativité, il va être capable de former des personnages profondément sinistres et terrifiants qui vont pourtant nous fasciner dans une certaine mesure. Débordant de puissance, retors, intelligent ou simplement sombrant dans les ténèbres les plus opaques, il y a mille et une façons de mettre en scène un personnage qui va à l’encontre des lois. Il en est de même pour les raisons qui motivent ses actes. Cela peut aller d’un sentiment de vengeance, de supériorité, de la volonté de faire le bien ou simplement par plaisir. Tout est propice à nous mettre sous le nez des individus effroyables, mais que l’on sera obligé de suivre. On aborde alors un autre point essentiel dans ce domaine.
Il s’agit de l’attrait que l’on peut avoir pour eux. En effet, même si l’on sait pertinemment que tout ce qui se passe devant nos yeux est inacceptable, on ne peut détourner le regard de cette entité qui est prête à tout pour accomplir son but. Au même titre qu’un héros devant sauver le monde, on assiste à l’ascension d’un personnage souhaitant le détruire. Deux opposés, mais qui fonctionnent souvent sur le même schéma. Ils doivent chacun relever de nombreux défis et distiller la peur dans le cœur de ceux qui les croisent. Alors que l’on a l’habitude de voir des gens se battre pour la sauvegarde d’un univers, la survie ou l’envie de protéger les siens, ici on aborde l’autre rôle. Le prédateur de départ devient le centre de l’attention et chaque pas qu’il fait est dans le but de détruire ce qui devrait être paisible. Il est captivant de voir à quel point la création d’un mal comme protagoniste suit exactement la même voie que celle d’un personnage principal classique. Seuls se dissocient les méthodes employées, le but à atteindre et souvent la finalité de leur voyage. Ces titres jouent alors sur notre propre regard de la moralité, mais aussi de ce qui est acceptable ou non. On peut parfois comprendre les agissements d’un méchant sans pour autant être d’accord avec ce qu’il fait. Certains sont même pensés pour que l’on ait simplement un dégoût à leur encontre et qu’il symbolise justement cette peur qui plane sur ce récit et qu’il faut éliminer. On est alors confronté à un désir étrange qui est à la fois de le voir aller le plus loin possible et qu’il soit détruit pour arrêter toute cette escalade de souffrance. Le lecteur ne cherche donc plus à survivre, mais à voir si cette malfaisance pourra être contenue ou si elle se répandra pour continuer son jeu de massacre.
Plus question de survie
Quand on s’attaque à ce type de manga, l’horreur ne nous vise plus directement. On peut y assister en voyant les conséquences que cela peut avoir sur ceux qui font obstacles à notre protagoniste. De ce fait, la crainte que l’on a est diamétralement différente de ce que l’on peut ressentir dans d’autres titres de ce style. Cette fois, l’effroi est plus subtil dans le sens qu’il ne nous vise pas. On est témoin de ce que les autres subissent et de ce que l’on pourrait ressentir si on était de leur côté. Un effet de miroir qui fonctionne souvent très bien tant cela déstabilise le lecteur qui se retrouve du côté de celui à abattre et non celui à soutenir. Notre voyage nous conduit alors très souvent à observer un véritable déferlement de puissance ou de suprématie de la part de cette force que l’on contemple en silence. Comme on n’est plus tant concerné par le fait de survivre, on va poser un œil aiguisé sur comment les victimes de notre camarade de route vont faire pour échapper à son courroux. On n’est plus dans la transposition du lecteur à la place d’un des acteurs du récit, mais bel et bien observateur de ce sinistre spectacle qui se joue devant nous. Un témoin coincé dans une place où il se sent oppressé, car il doit suivre les traces de celui qui commet tant de souffrances. L’inaction de notre esprit devient ainsi un outil formidable pour les auteurs de nous mettre dans une position qui va justement créer une sensation désagréable collant à la teneur du manga. Une approche captivante à analyser tant elle est particulière et appuie sur des éléments que l’on n’aurait jamais imaginé ressentir en se plongeant dans ce genre d’aventure. Les exemples sont assez nombreux et permettent de voir la créativité d’un artiste pour nous happer dans une œuvre sinistre et pourtant envoûtante.
On peut tout à fait citer le cas de Devil Inside. Cette série courte nous emmène au contact d’un jeune homme semblant bien sous tout rapport, mais qui dévoile une facette terrifiante. Au même titre que le célèbre Damien de La Malédiction, on suit un adolescent qui cache un véritable diable dont la simple présence suffit à faire trembler, et même à tuer ceux qui osent s’opposer à lui. Un contraste entre ce qu’il montre et ce qu’il est qui est souvent propice à semer le doute chez le lecteur. C’est aussi le cas dans Perfect Crime, un excellent thriller. Est-ce que l’on doit croire en ce visage innocent ou bien le cataloguer directement comme un monstre ? L’incertitude est ainsi omniprésente et l’objectif ici est de réussir à se faire un avis sur ce qu’il est réellement. Le lecteur veut ainsi pouvoir le cataloguer dans des cases manichéennes avec le bien et le mal, mais c’est justement cette richesse qui fait que l’on hésite autant. On le craint autant que l’on a envie de croire qu’il peut y avoir du bon. Voilà un des nombreux cheminements possibles qu’il peut y avoir quand le méchant de l’histoire devient le personnage central. Chaque chapitre, chaque acte, chaque interaction apportent un poids supplémentaire dans cette balance morale qui nous accompagne. Pouvant basculer d’un côté comme de l’autre, on est tenu en haleine autant par l’intrigue que par le développement de cette menace. Cependant, créer un anti-héros que l’on peut autant apprécier que détester est une chose bien compliquée qui doit se construire sur le long terme. Pour ça, il y a une construction qui ressort très souvent et qui est palpitante quand elle est maîtrisée de bout en bout. Quand une personne pense faire le bien et qu’il finit par devenir ce qu’il craignait, cela engendre toujours beaucoup de sensations chez le spectateur.
Le mal pour le bien
Voilà un sujet qui pourrait faire l’objet de toute une chronique. Il n’est pas rare dans l’univers très riche du manga que l’on tombe sur des séries ayant pour protagoniste un individu tout à fait banal. Un individu auquel on peut s’identifier dans les premiers chapitres et qui nous parle aisément à travers tout ce qu’il fait. Ce n’est que sur le long terme que l’on peut voir celui-ci basculer petit à petit vers un chemin plus obscur à la destination finale bien macabre. Ce cheminement peut s’opérer pour de nombreuses raisons qui sont propres à chaque récit. Cela peut aller d’un sentiment d’impuissance, d’un trop grand pouvoir ou bien de se venger de quelqu’un. Cette construction a forcément beaucoup d’impact chez le lecteur qui va assister à ces changements. La peur qui nous assaille alors est celle de voir ce dernier commettre l’irréparable sans que personne ne puisse rien y faire. C’est ainsi que Light Yagami, adolescent promis à un brillant avenir, est devenu le plus grand criminel qui soit en souhaitant faire le bien. On est alors emporté par cette spirale infernale dans laquelle est guidé cet ancien héros pour devenir ce qu’il combattait ou redoutait. Nous sommes alors observateurs de ce revirement de situation et de personnalité qui nous attriste autant qu’il nous terrifie. Tout ça parce que l’on sait pertinemment qu’ils n’étaient pas des êtres mauvais dans le fond, mais des individus qui se sont perdus en cours de route et pour qui aucune main tendue n’a été offerte. L’angoisse frôle avec une certaine sincérité chez le lecteur, car tout ça est représentatif de ce que peut être la vie réelle. Il suffit parfois d’un tragique événement ou bien d’un esprit brisé pour qu’un être humain se transforme en monstre. Un constat qui a très bien été saisi par les mangakas qui ont su le retranscrire dans divers travaux.
On est donc dans une approche souvent plus humaine qu’on ne le pense de cette conception du mal qui peut corrompre n’importe qui. Pouvant à la fois être un moyen de changer la donne, mais aussi de faire véhiculer certains messages, il est toujours important d’entrevoir ce qu’il y a derrière la conception de ces personnages. Ils insufflent la peur après avoir été souvent eux-mêmes victimes de cette dernière. Un genre bien spécifique qui permet à ces mangas de toucher d’une toute autre façon les lecteurs qui se sentent parfois proches de ces compagnons de route et assistent silencieusement à leur déclin. Cela montre que l’effroi ne s’exprime pas forcément par la profusion de sang, d’actes malveillants ou d’une force surnaturelle. Il existe une multitude de frayeurs qui peuvent nous marquer chacune d’une manière différente et propre à la sensibilité de chacun. C’est ainsi que l’on se remémore avec une certaine tristesse de ces figures emblématiques qui ont sombré dans les ténèbres. Un simple adolescent peut se prendre pour un dieu vengeur, une lycéenne victime de harcèlement devenir une tortionnaire et bien d’autres âmes ayant été bouleversées par leur parcours personnel. Cependant, cela ne signifie pas pour autant que le mal prend toujours ce chemin pour se présenter à nous. Il peut aussi imposer rapidement sa présence à travers des agents qui ne pensent qu’à concrétiser leurs terribles desseins. On attaque alors un tout autre domaine de ce processus où les méchants prennent le pouvoir. Dans ce cas, il va souvent se passer quelque chose de spécial chez le lecteur qui observe tout ça calmement.
Des démons qui nous fascinent
Et oui, l’autre côté peut avoir un aspect intrigant quand celui-ci est traité à travers la plume d’un mangaka. Il ne suffit pas simplement de créer un seigneur du mal ou un être imbattable pour que l’on soit admiratif de ce dernier. Tout ceci est bien plus compliqué et il faut donc réaliser un excellent travail de combinaison pour que chaque élément fonctionne à merveille. Souvent, les monstres, antagonistes, rivaux et autres opposants nous fascinent par rapport à ce qu’ils peuvent apporter à l’égard du héros. Cependant, c’est un peu différent quand ces derniers sont aux commandes du scénario. Il faut alors que l’on soit autant craintif à l’égard de ces derniers que fasciné par ce qu’ils peuvent nous raconter. Il faut réussir à le rendre intéressant et cela peut s’exprimer par de multiples facettes provenant tout droit de l’imagination des artistes. Là encore, on peut citer une quête plus personnelle ou même un déferlement de puissance qui va contribuer à enrichir le texte. Tout est alors propice à transformer un agent du mal en une figure effrayante et pourtant hypnotique. Un parfait exemple de ça est le personnage d’Usobuki dans le thriller Perfect Crime. Il est sûrement l’assassin le plus redoutable qui soit du fait de sa capacité particulière et il provoque rapidement en nous une fascination étrange. Au même titre que ses victimes, on est pris au piège par le pouvoir de son regard. La terreur est donc palpable, car on sait pertinemment que peu de personnes peuvent se targuer d’être encore en vie après l’avoir croisé. On nous dépeint donc ici un être qui ne vit qu’à travers la mort des autres et dont les capacités le propulsent au-dessus du commun des mortels. Un premier pas plus que réussi pour faire naître en nous ce sentiment d’insécurité alors qu’il est littéralement l’un des principaux protagonistes du manga.
Pour autant, cela ne nous empêche pas de voir ce qu’il souhaite nous raconter à travers son sinistre travail en révélant l’obscurité de la nature humaine. Un véritable travail de funambule où il ne faut jamais qu’une facette prenne entièrement le pas sur l’autre. Dans le même genre, on peut citer Moriarty qui suit un schéma presque identique en nous montrant un objectif plus humain qu’on pourrait le croire derrière ce génie du crime. Le monstre ou le criminel nous subjugue alors dans sa manière d’éviter ou de combattre son ennemi par tous les moyens mis à sa disposition. Là où un héros va suivre un chemin jonché d’obstacles, mais toujours bien droit, ces êtres ne vont jamais hésiter à prendre des routes et raccourcis qui chamboulent notre vision du récit. Une approche totalement différente, mais qui n’en reste pas moins captivante à suivre étant donné qu’elle change notre point de vue. On peut être stupéfait de ce que l’on découvre et avoir presque une sympathie fictive pour ces agents du mal qui tentent d’accomplir leurs basses besognes. Un méchant n’est pas forcément pensé par un auteur pour être totalement abject. Certains peuvent être imaginés pour nous apporter du dégoût et un profond mépris tandis que d’autres vont être beaucoup plus nuancés dans leur comportement. Il y a autant de possibilités d’écriture dans la conception d’un protagoniste vertueux que d’un personnage principal ayant succombé à l’appel des ténèbres. Un terrain fertile pour les imaginations les plus débordantes et qui peut autant nous faire vivre des expériences mémorables que des instants de frayeurs.
Le Mal dirige le show
On approche de la conclusion de cette chronique et on trouvait qu’il était important de remettre en avant le rôle du mal quand celui-ci est au centre d’un manga. Il n’est jamais question de créer un être effroyable pour simplement le voir commettre de terribles méfaits. Il y a quasiment toujours quelque chose à dire derrière celui-ci et permet de façonner des êtres qui ne vont pas seulement nous mettre mal à l’aise. On peut avoir pitié d’eux, de l’empathie, du dégoût, une forme d’admiration malsaine, apeuré ou simplement captivé par ce qu’il raconte. Si le fait de mettre une figure néfaste au premier plan n’est pas le plus répandu dans l’univers gigantesque que constitue ce medium, il est pertinent de se pencher tout de même sur ces séries qui ont décidé de parcourir ces contrées encore peu explorées. Une idée de base qui peut ensuite se propager et construire un récit qui nous tient en haleine au même titre que les autres si ce n’est plus. Après tout, on ne peut s’empêcher de se questionner concernant le futur de ces acteurs et actrices qui ont choisi de prendre le chemin opposé à celui des autres héros. Une approche qui peut aussi montrer un caractère parfois plus réaliste dans les nuances proposées. L’image de pureté s’efface pour laisser place à des individus qui donnent tout pour leurs ambitions, leur propre quête personnelle, mais aussi des failles souvent très humaines.
On espère que ce nouveau numéro du Manga Horror Show vous aura plu. Pour celui-ci, on avait envie de s’éloigner un peu de la peur de manière générale et de se concentrer sur ceux qui offrent une opposition dans ces fictions. Il est toujours formidable de contempler la créativité d’un artiste prendre vie sous nos yeux à travers ces dessins pouvant nous faire ressentir tout un tas d’émotions. Le bien et le mal, le crime et la justice, le courage et la peur sont autant d’outils permettant à celui qui tient la plume d’exprimer tout son art et sa vision de comment divertir les lecteurs. Il faut alors s’intéresser à comment une figure maléfique a pu devenir le centre de l’attention dans une œuvre et ce qui s’exprime à travers l’aventure de celle-ci. Même sans être les protagonistes, nombreux sont les antagonistes, méchants, adversaires et agents de l’ombre qui ont laissé leur empreinte dans l’esprit collectif. Des noms comme Light, Makishima, Usobuki, Freezer, Johan et bien d’autres restent à jamais ancrés dans notre mémoire. Parfois, il faut faire briller le mal pour que le bien en ressorte encore plus grand. On se retrouve dès lundi prochain pour la semaine spéciale Halloween où l’on vous a préparé tout un tas de chroniques diaboliques. Nous sommes toujours à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de tous ces sujets.