Shut Hell

Shut Hell : la plume est plus forte que l’épée

Après avoir parlé il y a plusieurs mois de Shut Hell à son lancement, je me suis dit qu’il serait intéressant de voir comment la série a évolué au fil des tomes. Il faut dire que ce manga a connu beaucoup de bouleversements au fil de ses actes et de la quête de Yurul pour protéger ce précieux héritage. Si l’on avait pu voir auparavant à quel point ce titre pouvait être prometteur avec son mélange d’historique et d’ode à la connaissance, la suite des volumes a su renforcer le combat de nos protagonistes. Je me suis donc dit que c’était l’occasion parfaite d’analyser cette aventure de chez Panini à travers le prisme de cette bataille qui se joue entre l’ancienne génération et ceux qui symbolisent le futur. Le récit d’un jeune prince qui prend son devoir à cœur et qui va être accompagné d’une guerrière prise entre deux feux. Avec l’apparition de nouveaux personnages et surtout d’idéaux différents, cette épopée va prendre une toute autre dimension. Une lecture qui ne se limite pas à une bonne dose d’action et à un trait soigné. L’heure est donc venue de revenir dans cette ère chaotique où le savoir est considéré comme un danger à détruire pour ceux désirant le pouvoir.

L’importance de quelques caractères

Shut Hell Vol.1Pour rappeler un peu tout ce qui est à l’origine de l’histoire de Yu Ito, nous suivons le jeune Yurul, élevé parmi l’une des tribus rattachée à l’armée Mongol, qui va abandonner les siens pour protéger un lourd fardeau qui prend la forme de tablettes de jade regroupant les caractères tangoutes. Ces derniers sont le dernier héritage d’une nation qui s’apprête à être détruite par cette invasion Mongole. Ainsi, si le destin de ce royaume semble déjà condamné, en parvenant à sauver cet alphabet, Yurul espère faire perdurer la mémoire de ce peuple. Dans son périple, il fera la connaissance de Shut Hell, une jeune femme qui désire plus que tout se venger des Mongols qui ont éradiqué ses camarades et profaner leurs cadavres. Une guerrière menée par sa soif de vengeance et qui va même être considérée comme un esprit malfaisant par ses ennemis. Par la force des choses, les deux vont se retrouver à faire un bout de chemin ensemble avant l’arrivée d’un jeune homme venu du temps présent dans le corps de la redoutable combattante. Ce qui est initialement présenté comme avant tout un récit historique va prendre une toute autre tournure quand on comprend pourquoi la mangaka a voulu introduire une immersion du présent dans ce passé. Pour cela, il est important de s’attarder sur l’objectif de Yurul. Il faut souligner que cette intrigue ne s’étale pas sur une courte période, mais bien sur plusieurs mois. Ainsi, le jeune garçon terrifié et poussé par la force des choses à entamer ce voyage finit par devenir un adolescent bien plus conscient de l’importance de sa tâche.

Les caractères tangoutes qu’il garde précieusement ne sont pas uniquement une manière pour cette civilisation de perdurer à travers ces quelques symboles. Il s’agit aussi d’une manière pour lui de prouver au monde que le futur ne se trouve pas dans la destruction, mais dans la conservation de ce type d’héritage. Dans une époque où les conflits sont multiples et où il est souvent plus facile de détruire que de construire, on nous montre des gens qui survivent non pas en s’entraidant, mais en écrasant les autres pour imposer leur vision et leur culture. Un constat qui peut se vérifier malheureusement de tout temps et qui amène un regard particulièrement sombre de l’être humain et de ce qu’il peut faire pour imposer sa volonté aux autres. Mais Yurul a beau n’être qu’un petit garçon, il va représenter l’épine dans le pied des puissants en parvenant à échapper à leurs griffes et à préserver un bout de savoir d’une civilisation que certains veulent éradiquer. On nous fait clairement comprendre pendant tout le début de la série que les Tangoutes sont destinés à disparaître des mains de cette force implacable représentée par les Mongols. Mais si leurs villes s’effondrent et que les innocents périssent entre les mains de ces envahisseurs, ce qu’ils ont inventé est maintenu grâce à ces quelques tablettes. Une quête de sauvegarde qui va prendre un essor de plus en plus grand au fur et à mesure de ces péripéties.

Si l’on a pu aborder le contexte initial de cette grande fresque et les enjeux qui en découlent, je vais maintenant m’attarder sur un élément qui est le parfait reflet de cette bataille qui se joue devant nous. Il s’agit tout bonnement du personnage de Shut Hell, de son évolution, mais aussi de sa cohabitation mouvementée avec cet adolescent venu d’une époque contemporaine. Si le manga porte son nom, cette guerrière est très loin d’être celle qui va porter l’histoire, mais plus la première personne à être la plus impactée par le combat du jeune Yurul et de l’espoir qu’il représente.

La dualité Shut Hell

Quand on fait la connaissance de Shut Hell la première fois, on voit une jeune femme souriante malgré la situation et qui s’amuse avec ses camarades. Mais en un claquement de doigts, elle se retrouve devant leurs corps dévorés par les loups et cela réveille en elle la bête qui sommeillait dans son cœur. Nous ne voyons donc plus Shut Hell l’humaine, mais le loup déguisé en femme prêt à planter ses crocs dans tous ceux qui ont détruit sa vie et ses amis. Dès lors, même après sa rencontre avec Yurul, elle représente avant tout une menace autant pour les Mongols que pour ce jeune garçon qui cherche à fuir ces derniers. Elle est une arme frappant à tout va sans penser un seul instant au futur ou à une autre voie possible. C’est finalement en passant du temps en compagnie de ce fuyard et de son majordome qu’elle va progressivement prendre conscience qu’il existe un autre avenir possible et qui ne se limite pas à un champ de bataille. Yurul a beau être le porteur du souvenir de toute une nation, sa première grande victoire va être d’ouvrir les yeux de sa comparse sur le fait que lâcher son arme pour envisager une autre possibilité n’a rien de honteux. Voilà pourquoi les quelques moments de complicité entre les deux sont aussi touchants. Ils sont la représentation d’un espoir de stopper la folie qui gangrène ces terres pour amener une possible paix.

Mais même en parvenant à ça, la mangaka continue de nous confronter aux horreurs de cette guerre qui vont aussi frapper directement nos protagonistes et notamment Shut Hell. S’apprêtant à perdre la vie au bout d’une corde, elle regarde le monde d’un autre œil. Elle qui n’a jamais vécu que pour combattre sans se soucier de savoir écrire va être émue aux larmes en voyant son nom sur un simple bout de papier. De simples caractères qui vont pourtant avoir l’effet d’un électrochoc pour cette dernière qui se dit que sa vie aurait pu prendre une toute autre direction si elle avait connu Yurul avant. Une forme de rédemption et surtout de libération alors qu’elle s’apprête à franchir les portes de la mort. Et pourtant, l’histoire ne s’arrête pas là étant donné qu’elle va en quelque sorte revenir à la vie au moment où notre adolescent du monde actuel se retrouve dans son corps. Perdu et totalement désemparé par ce qui se passe, il va réussir à survivre grâce à l’intervention du jeune prince. Si l’arrivée de cette nouvelle forme de Shut Hell peut dérouter au premier abord, cela va amener une évolution tout à fait naturelle dans le combat mené par les protagonistes. Venant de ce qui est pour eux le futur, le jeune homme ayant l’apparence de cette demoiselle va être là pour appuyer le raisonnement de Yurul et lui faire comprendre que sa lutte n’est pas vaine. Il vient d’une époque de paix et c’est grâce à des gens comme notre gardien des tablettes que cette lueur a pu naître. Et malgré tout, il doit aussi lutter contre la bestialité toujours présente dans le cœur de Shut Hell et qui cherche à reprendre le contrôle à tout moment. Tandis que le groupe fait de son mieux pour atteindre son objectif, notre guerrière aux multiples facettes ne cesse d’être tiraillée entre ce loup à l’appétit dévorant, ce garçon connaissant l’avenir et la jeune femme morte qui a trouvé le bonheur auprès de son sauveur.

Yu Ito donne vie à un personnage qui symbolise à merveille toutes les facettes de son œuvre et surtout les divers chemins que peut prendre l’être humain face à la violence du monde. Mais si Shut Hell est une figure importante du récit, elle n’est pas seule à s’opposer au voyage de Yurul. De nombreux autres individus vont se mettre en travers de sa route et surtout montrer à quel point la bataille menée ne se limite pas à une simple question de force. Une confrontation des idées qui va mettre en opposition une vision guerrière ayant déjà entraîné bien des souffrances et un futur incertain que certains désigneraient comme fou ou utopiste.

Le vieux monde contre le futur

Shut Hell Vol.6Quand on prend du recul sur cette histoire, on se rend compte en fait que l’on assiste à un combat qui dépasse le cadre de la confrontation entre nations. Il s’agit avant tout d’une bataille d’idéaux et de principes qui vont être symbolisés d’un côté par ceux désirant mettre la main sur les tablettes pour les détruire ou s’en servir et de l’autre Yurul qui lutte pour l’avenir. Le premier à vraiment s’opposer à ce dernier n’est autre que le chef suprême de l’armée Mongole dont l’objectif est l’éradication de tout ce qui est Tangoute. Une représentation du sinistre désir humain de détruire pour qu’il ne reste qu’un seul gagnant à la fin pouvant imposer son autorité. Une force écrasante qui n’a que faire de la cohabitation avec les autres et pour qui le futur se dessine dans le sang de ses ennemis. Un chemin qui a été beaucoup trop de fois emprunté par le passé concernant l’Humanité et qui se présente comme un éternel recommencement où ici il s’agit juste d’une autre boucle. Cela peut paraître classique comme écriture, mais cela résonne parfaitement avec le fond de cette histoire qui oppose espoir et anéantissement. Nous avons une figure néfaste qui sert d’antagoniste et qui n’a nullement peur d’en venir aux pires actes pour atteindre son but. Une manière d’appuyer encore plus l’importance de cette quête qui unit nos protagonistes. Mais alors que cela aurait pu s’arrêter là, la mangaka va apporter de la diversité dans ces adversaires que va rencontrer Yurul, notamment avec le personnage de Jilgis.

Ce vieux général à la poigne de fer et qui est le mur défendant sa patrie va se retrouver face aux attaques de ces envahisseurs après qu’ils aient tourné leur dévolu ailleurs que sur les Tangoutes. Il n’est pas dans l’objectif d’invasion, mais de défense et se présente avant tout comme un patriote prêt à tout pour son foyer même si le seigneur a sa tête est loin d’être le plus avisé. Un seigneur de guerre qui a l’expérience pour lui et qui justement va être le plus grand ennemi de notre jeune prince en matière de lutte des visions. Ils présentent des arguments forts concernant le rôle d’un souverain, mais aussi à quel point l’important est l’instant présent et non ce qu’il sera possible de léguer pour la suite. Ayant été témoin de la disparition de bon nombre de gens et de nations au fil des années, il a fini par se dire que tout ce qui compte est d’avoir la force de survivre peu importe les moyens. Quitte à négocier ou bien à lutter jusqu’à la mort, il est avant tout un général qui n’a plus l’occasion de voir ce que l’avenir pourrait donner et qui se contente donc de ce qu’il peut faire maintenant. C’est pour ça que les échanges qu’il y a entre lui et Yurul sont captivants tant ils sont le reflet de deux approches différentes et pourtant réfléchies de ce que le monde est et peut devenir. Nous sommes donc dans une œuvre qui va constamment amener des personnages de plus en plus nuancés pour servir d’épreuves à notre jeune protagoniste et aiguiser sa détermination à aller au bout de son périple. Une évolution captivante, naturelle et bien pensée pour donner une dimension encore plus grande à toute cette histoire.

N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre ressenti global sur la série Shut Hell ainsi que votre regard sur ce combat mené par les protagonistes. Trouvez-vous que l’on a devant nous une réflexion intéressante autour du futur et de l’héritage transmis au fil des civilisations ? Est-ce que vous appréciez tout le travail qui est fait autour de ces personnages qui cherchent à lutter pour ce qu’ils pensent juste ou bien pour de vieux idéaux ? Etes-vous curieux de voir ce que donnera la suite de cette quête intense et aussi particulièrement sanglante ? Qu’attendez-vous pour le futur de cette licence ? Je reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.

© by ITÔ Yû / Shôgakukan

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *