Poppoya

Poppoya / Love Letter : deux histoires bouleversantes

Il est grand temps aujourd’hui de s’attaquer à un très gros morceau avec un ouvrage qui est arrivé au catalogue de Mangetsu. Je parle ici du recueil proposant les deux histoires courtes Poppoya et Love Letter. Je l’avoue, je n’ai jamais eu l’occasion de me pencher sur ces récits ainsi que sur tout ce qui gravite autour de ces derniers. J’étais donc poussé par la curiosité de voir ce qui pouvait bien se cacher derrière ces histoires et notamment la première qui nous amenait vers un terrain assez peu traité dans le manga. Je me suis donc lancé dans cette lecture et j’en suis ressorti profondément marqué par ce que j’ai pu y découvrir. Deux oeuvres qui passent rapidement et qui pourtant arrivent à frapper très fort et dans des domaines bien différents. Voilà pourquoi l’article du jour sera un peu différent étant donné que je vais non pas faire un avis global sur l’ensemble de l’ouvrage, mais me focaliser sur chacune de ces nouvelles. Cela permettra de mieux cerner ce qui peut faire l’attrait de celles-ci et aussi bien détailler les thèmes abordés dans chacune d’entre elles. Soyez donc prêts à lire de poignantes lettres dans un train en partance pour sa dernière virée.

Poppoya

Avant toute chose, il faut savoir que les deux nouvelles dont je vais vous parler ont été écrites initialement par Jiro Asada et que le manga a été réalisé par Takumi Nagayasu. La première de ces deux histoires est Poppoya et nous emmène au Nouvel An sur le quai désert et recouvert de neige de Horomai. C’est dans cette petite station ferroviaire que se trouve Otomatsu, un vieux chef de gare sur le point de prendre sa retraite. Inflexible quant à son devoir depuis toutes ces années, il passe les derniers instants qui lui restent avec cet uniforme à ressasser son passé en tant qu’homme de rail. En plus de ça, il s’avère que le train qui a accompagné quasiment toute sa vie à ce poste va lui aussi être mis au placard en même temps que lui. Une page importante se tourne tandis que le Japon ne cesse d’évoluer technologiquement. Alors que de meilleurs trains font leur apparition, il y a toujours quelques petits vestiges de ces anciennes années qui ont été les prémices des chemins de fer dans ce pays. Malgré tout, Otomatsu ne s’inquiète pas du futur qui l’attend. Il sait que l’heure approche pour lui de ranger sa casquette et son sifflet. Mais alors qu’une nouvelle année est sur le point de débuter, cette nuit particulière pourrait bien réserver son lot de surprises au vieil homme. Il a beau avoir dédié son existence à être présent sur ce quai, les regrets semblent lourds dans les yeux du chef de gare. Lui qui d’habitude ne laisse rien entraver sa mission quotidienne se met d’un coup à se laisser aller à des souvenirs qu’il pensait avoir enfouis profondément en lui. Peut-être le temps est-il venu de refermer définitivement ces peines qui le rongent et d’enfin faire la paix avec lui-même. Si le Nouvel An signifie le début d’une nouvelle ère pour beaucoup, c’est aussi la conclusion de nombreuses choses pour certains.

Autant le dire tout de suite, Poppoya est l’œuvre qui prend le plus d’espace au sein de cet ouvrage. On sent cette envie de poser un décor bien particulier pour s’imprégner du quotidien de ces cheminots et surtout d’Otomatsu. Mais pourtant, tout ça va grandement contribuer à l’émotion que l’on va ressentir tout au long de cette aventure. Il y a énormément de choses à dire et, par exemple, on peut commencer par le fait que cette nouvelle aborde la question du changement. Cela se ressent dans la période servant de toile de fond ainsi que dans cette disparition de la vieille génération pour laisser place à la nouvelle. C’est autant flagrant dans le changement de train que dans les discussions entre les personnages. Pourtant, le récit ne se veut pas être totalement dévoué à un côté ou réfractaire à l’autre. Au contraire, il va y avoir une excellente réflexion sur le fait que oui le monde change, que cela est nécessaire, mais qu’il ne faut pas pour autant oublier tous ceux qui ont contribué à l’expansion et démocratisation de ce moyen de transport. Si cela est l’une des thématiques particulièrement réussies dans cette histoire, il y en a une autre encore plus puissante qui se dégage et qui entoure notre protagoniste. L’artiste va réussir à donner vie à un personnage dont on ressent le poids des années, les cicatrices du passé et qui pourtant reste fidèle à ce travail qui fut le sien. Un homme qui ne quitte jamais sa gare et est toujours présent pour signaler l’arrivée ou le départ d’un train. Au fur et à mesure que cette nuit glaciale va défiler, on va apprendre à connaître l’homme derrière le costume et comprendre tout ce qu’il a traversé. On va alors autant passer de l’incompréhension à la colère pour finir par une profonde tristesse en voyant à quel point il a dû porter le poids de ses décisions et de ses regrets dans l’unique but d’être là pour ceux qui prennent cette voie de chemin de fer. Et toute cette soirée du Nouvel An va se transformer en une rétrospective de ce qu’il a vécu, de ses joies, mais aussi de ses peines et qui vont nous amener à un final à la fois poétique et déchirant. Une oeuvre absolument bouleversante et qui nous fait verser bien des larmes au fur et à mesure que l’on prend conscience de tout ce qui nous est raconté au fil des cases.


Love Letter

Dans cette seconde histoire que nous retranscrit Takumi Nagayasu, Love Letter nous fait suivre Gorô. Cet homme semble passer son temps à chercher comment se faire de l’argent quitte à s’acoquiner avec des gens peu fréquentables. Ressortant tout juste de dix jours de prison pour cause de vente de vidéos à caractère pornographique, il apprend que sa femme viendrait de rendre son dernier souffle. N’importe quel mari serait effondré à l’annonce d’une si tragique nouvelle, mais pas lui. En fait, il s’avère que cette union n’était qu’un mariage blanc pour faire entrer une jeune femme chinoise dans le pays. Il n’a même jamais vu le visage de cette dernière. Malgré tout, il est obligé de s’occuper de toute la paperasse et du corps de sa “moitié” sous peine d’amener des soupçons sur leur fausse relation. Poussé par l’appât du gain proposé par le yakuza à l’origine de tout ça, il finit par embarquer dans un voyage qui doit l’amener à la rencontre du cadavre de celle qui aurait pu partager sa vie. Tandis qu’il laisse son esprit vagabonder pendant le trajet à toutes sortes de réflexions, on lui transmet des lettres que son épouse lui aurait écrite. Cet homme, connu pour être détaché de toute émotion qu’il juge inutile, se met à reconsidérer tout ce qu’il connaît en lisant ces quelques lignes. Des mots simples, mais lourds de sens et qui vont transformer ce voyage vers une inconnue en une rédemption pour cet individu qui a trop longtemps côtoyé les bas-fonds de ce monde. Dans cette société où aimer est synonyme de faiblesse et où chacun cherche à écraser les autres, il s’apprête à découvrir les derniers mots d’une femme qui n’a jamais eu que l’envie d’être heureuse dans cette nouvelle vie. L’ordure reste et l’innocence disparaît pour un périple qui transformera à jamais Gorô.

Comme je l’ai dit un peu plus haut, Love Letter a moins de pages et donc beaucoup moins de temps pour installer son intrigue. Pourtant, cela ne l’empêche nullement d’être une brillante et tragique histoire qui va nous confronter au pire de l’être humain. Après tout, le personnage principal de ce récit n’a rien de sympathique de prime abord. Gorô est avant tout quelqu’un qui cherche juste à se faire de l’argent et qui le dilapide à la vitesse de la lumière. Il n’a aucune attache et se complaît dans cette vie morne où il va même jusqu’à faire affaire avec le milieu criminel. De même, on ressent une profonde colère à son égard quand on voit ses réactions initiales concernant la mort de son “épouse”. C’est encore plus flagrant quand on voit quels ont été ses derniers mots et surtout à quel point elle le remercie d’avoir été son mari même si elle ne l’a jamais vu en vrai. Et plus on avance dans l’histoire et plus on se rend compte de la volonté de l’auteur de justement nous confronter à l’indifférence et à la noirceur de l’être humain face à cette petite étincelle qui vient de s’éteindre. Tout ce récit est là pour offrir à Gorô une sorte de chemin de croix en voyant ce qu’il est devenu au contact de cette société qui méprise ceux qui sont malchanceux ou qui désirent de l’aide. Et je trouve que cette nouvelle arrive avec brio et beaucoup de justesse à nous pousser à la réflexion sur l’état de notre monde et à quel point les gens peuvent se montrer effroyables entre eux. Le reflet de ce que l’être humain devient et qui résonne encore fortement aujourd’hui tant on se sent impliqué dans les dernières paroles de cette jeune femme qui ne s’attarde que sur le positif de ce faux mariage. D’un côté on a la représentation de la malveillance dont peut faire preuve l’homme et de l’autre une figure innocente obligée de vendre son corps pour simplement subvenir aux besoins de sa famille. La dualité entre les deux est retranscrite à la perfection et va nous toucher en plein cœur tandis que l’on observe les changements chez Gorô. Une courte histoire qui a parfaitement su transmettre son message sans la moindre fioriture.

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