Le Siège des Exilées tome 1 : un monde en perdition
Au sein de tous les titres qui sont sortis la semaine dernière, il y en a un qui nous a fait de l’œil depuis un petit moment. Souvent, la curiosité est le premier pas qui nous pousse à découvrir une épopée. Si elle était bien présente ici, on était aussi curieux de voir comment le sujet évoqué dans le synopsis allait pouvoir être traité. Un contexte cherchant à mettre en avant de nombreuses questions importantes et pertinentes au sein d’un univers particulièrement sombre. C’est donc pour cela que l’on a décidé de traiter aujourd’hui de la dernière licence en date de chez Akata. Vous l’aurez compris, il s’agit bien sûr du manga Le Siège des Exilées dont le premier tome vient de sortir il y a peu. Si l’idée d’une dystopie où un système matriarcal a déjà été traité dans certaines œuvres, il est toujours intéressant de voir comment celle-ci peut être amenée. La mangaka va ainsi nous amener sur une approche très humaine, parfois touchante et souvent froide pour dépeindre un paysage où le principe même de donner la vie a perdu une partie de son sens. L’heure est donc venue de se plonger dans ce périple en compagnie d’un duo dont la normalité est un gros problème pour certains.
Le problème d’être normal
Le Siège des Exilées, imaginée par Akane Torikai, nous plonge dans un monde proche du nôtre, mais transformé en véritable dystopie. Depuis plusieurs années, les naissances n’ont cessé de baisser. C’est encore plus vrai quand il s’agit d’hommes qui sont devenus une denrée rare sur ces terres presque stériles. Pour ne rien arranger, les quelques garçons et filles qui voient le jour ne sont pas forcément capables de se reproduire. Un terrible constat qui a fait que les quelques hommes fertiles sont réduits au simple statut de partenaire sexuel afin de faire perdurer l’Humanité. C’est donc autour d’un système matriarcal que la société s’est reconstruite dans l’espoir de reculer au maximum l’inévitable ou d’avoir suffisamment de temps pour trouver une solution à ce problème. En apparence, tout semble paisible dans le quotidien des habitants de la grande ville qui ne souffrent ni de guerres ou de conflits. Chacun vaque à ses occupations, et même la condition humaine n’est plus vue de la même façon afin de cacher la vérité au commun des mortels. Un équilibre précaire, mais qui parvient à tenir au fil des ans grâce à l’extrême attention portée par ceux qui sont au courant de la réalité de ce monde. Tout doit être fait dans le plus grand secret pour éviter des mouvements de panique et conditionner les nouvelles générations au fait que leur existence est très bien comme elle est. Cependant, il arrive que certaines anomalies puissent venir troubler cette paix fragile.
En effet, certaines personnes ont décidé de fuir l’effervescence de la métropole. Leurs pas les ont alors poussés à l’extérieur de cette zone pour donner vie à un véritable bidonville. Si ce lieu peut sembler sale, écœurant, et même terrifiant pour ceux qui sont restés bien au chaud derrière ces murs, il s’agit avant tout du seul lieu où les fuyards peuvent enfin vivre libres. Un regroupement des gens ne pouvant trouver leur place dans une telle société où tout semble aseptiser. C’est en ce lieu que va arriver, il y a quelques années, une jeune femme dont le destin pourrait bien chambouler beaucoup de choses. Son nom est Sanada. Ayant fui un avenir qui n’aurait été que souffrance, elle a fini par s’habituer à la vie en ces lieux. Connue pour ses compétences en tant qu’acupunctrice, elle parvient même à se faire apprécier de la majorité des habitants de ce lieu considéré par beaucoup comme perdu. Cependant, si cette existence semble lui convenir à la perfection, elle sait pertinemment que si son secret éclate au grand jour, ce serait la fin. Un don qui pourrait attiser la convoitise de beaucoup de gens en ce monde. C’est en côtoyant un autre individu aussi spécifique qu’elle que Sanada pourrait enfin retrouver le sourire. Dans cet environnement où être libre est synonyme de précarité, cette jeune femme va tout faire pour préserver cette paix qui lui est si chère. Malheureusement, d’autres forces sont en mouvement pour un projet bien plus grand impliquant le futur de l’Humanité.
En choisissant un contexte aussi spécifique, Le Siège des Exilées souhaite rapidement donner le ton de son récit. On est alors rapidement emporté par cette ambiance pesante qui plane sur les personnages que l’on rencontre, mais aussi par les messages véhiculés. On va alors ouvrir les yeux sur un monde où la vie a pris un tout autre sens tandis que l’humanité semble en plein déclin. Ce que l’on pensait comme acquis devient alors une ressource rare et qui va causer de nombreux problèmes pour ceux que l’on pourrait considérer comme des gens normaux.
Une réflexion sur la vie et l’être humain
Le Siège des Exilées a beau faire ses débuts, cela n’empêche pas à ce premier volume d’être d’une richesse incroyable. En plus de poser les fondements d’un univers à la fois intrigant et assez effrayant dans son fonctionnement, cette œuvre se veut avant tout être une fenêtre ouverte sur de nombreux sujets. En posant un tel contexte de base, la mangaka souhaite nous faire réfléchir sur notre rapport à la reproduction, aux relations entre hommes et femmes ainsi que sur l’essence même de la vie. Ce qui est formidable quand on s’attarde sur cette lecture, c’est à quel point chaque élément est là pour raconter quelque chose de pertinent. Que cela soit les personnages, les principes de ce monde ainsi que les règles établies, tout est finement construit pour former un univers qui nous semble ahurissant au premier abord, mais qui est loin d’être dénué de vérité. Tout d’abord, il faut s’attarder sur la manière dont nous est présenté ici l’accouplement. Aux yeux du public, cet acte n’existe même pas dans l’imaginaire collectif. Après tant d’années à cacher la vérité sur le manque d’hommes pouvant procréer et de femmes fécondes, toute cette société a fini par transformer l’acte sexuel banal en quelque chose qui est seulement réservé aux espèces animales que certains disent inférieures à l’être humain. Rien que par cette approche, les gens montrent une profonde distance par rapport à leur venue au monde qui serait devenue une simple formalité administrative. Il n’y a plus du tout l’aspect humain, charnel et émotionnel qu’il peut y avoir en tant normal lorsque l’on parle de reproduction.
La normalité devient alors quelque chose d’inimaginable dans cette ville où le simple fait d’être un homme est rare. Si cet état de fait implique aussi de graves conséquences pour l’avenir de l’Humanité, cela entraîne aussi un tout autre rapport entre les êtres humains. Son genre devient une catégorisation pouvant entraîner une personne à devoir obéir sans se poser de questions. Une façon de montrer une sorte d’asservissement propre à cette dystopie qui n’a trouvé que cette solution pour subsister. C’est là qu’intervient le bidonville en dehors et qui nous est présenté à l’exacte opposée de cette métropole. On a beau poser les yeux sur un endroit qui nous semble pauvre, triste et morne, la réalité est tout autre. En effet, chacun se sent libre de faire ce qu’il veut et il y a donc une sorte d’entraide qui se dégage offrant un peu de chaleur dans ce récit. C’est finalement en s’arrachant des règles établies par ce conseil supérieur que certains ont pu renouer avec ce qu’ils étaient vraiment. Sanada en est le parfait exemple au même titre que ceux qui l’entourent. Elle a beau se montrer assez froide au départ, on va peu à peu apprendre à la connaître et surtout assister à son évolution au fil de ses rencontres. Il y a donc un certain attachement qui va se forger entre le lecteur et ce personnage qui est guidé avant tout par ses propres désirs qui vont même la guider à tout faire pour juste voir quelque chose qui nous semble tout à fait naturel. En brisant ce qui est normal pour nous afin d’en faire une originalité, l’autrice parvient efficacement à nous faire prendre conscience de ce que cela signifie d’être humain, mais aussi de l’importance qu’il peut y avoir dans ces échanges entre les deux sexes.
Le Siège des Exilées est un récit qui souhaite dépasser le simple cadre du divertissement. En abordant les relations charnelles, la reproduction, mais aussi la place de l’homme et de la femme dans cette société en pleine crise, l’autrice nous pousse à une profonde réflexion. Un premier volume qui tient donc toutes ses promesses et parvient à briller par cette humanité qui se dégage des quelques protagonistes que l’on suit. Ils ont beau avoir perdu tout semblant d’émotion, leur réflexion, leurs inquiétudes et même leurs aspirations apportent un peu de joie dans ce sinistre décor. Une belle réussite qui doit maintenant sublimer sa conclusion à venir.
Le Siège des Exilées brise ses chaînes
Le Siège des Exilées fut une excellente surprise par rapport à tout ce qui est raconté en seulement quelques pages. Si l’on ne savait pas du tout à quoi s’attendre en se lançant dans le récit mis à part ce que l’on avait pu lire par rapport à l’annonce, le résultat est très convaincant. On a grandement apprécié voir les sujets traités amenés avec une sincérité et surtout une humanité faisant plaisir. Il y a un véritable travail qui est fait derrière la création de ce monde pour que l’aventure ne se cantonne pas à une simple lecture. A chaque fois que l’on avance en compagnie des personnages que l’on rencontre, on apprend, on prend conscience et surtout on réfléchit sur tout ce qui constitue notre rapport aux autres et à la vie elle-même. Le parti-pris de transformer un élément aussi essentiel que la reproduction pour en faire pratiquement un tabou pour l’ensemble de cette population amène tellement de richesse dans l’écriture. Chaque interaction permet d’entrevoir ce que pourrait donner une Terre où une telle situation existerait. Au final, ce manga parle pleinement de rapports sexuels sans pour autant partir dans le pur ecchi ou spectacle charnel. Cette thématique est parfaitement dosée pour voir à quel point sa présence, mais aussi son absence peut jouer sur toute une société. Une virée qui nous montre un environnement à deux visages où la pureté d’une société n’est pas forcément celle où l’on se sent le plus libre. C’est finalement en posant le regard sur ceux qui se sont enfuis que l’on voit un brin de vie qui subsiste encore sur ces terres qui en sont majoritairement dépourvues.
Vous l’aurez donc compris, on a beaucoup apprécié cette virée qui est vraiment une expérience à part entière. Il y a une grande réflexion qui se cache derrière chaque élément et qui nous pousse toujours à aller plus loin dans notre envie d’approfondir chaque détail. En plus de ça, la thématique principale est bien amenée et ne part pas uniquement autour de la reproduction et de l’acte charnel, mais aussi sur tout ce qui tourne autour. On recommande donc grandement ce premier volume qui trouvera déjà sa conclusion avec le prochain tome. Si vous aimez les œuvres courtes et transmettant des messages forts sur l’existence alors vous devriez aimer ce récit. Un périple qui dégage une certaine mélancolie ainsi qu’une profonde tendresse à travers les deux principaux protagonistes de l’histoire. On apprécie même de voir certaines personnes ne pouvant se cantonner de ce qu’on leur raconte pour laisser s’exprimer leur curiosité. A présent, on se pose énormément de questions pour la fin de cette aventure. Est-ce que nos deux amis pourront conserver leur liberté ? Cette société finira-t-elle par tout engloutir avant la grande déchéance de l’Humanité ? Sanada finira-t-elle par obtenir ce qu’elle désire ? La suite promet des événements intéressants et pouvant soit sceller le destin de nos camarades de route ou alors leur permettre de briller une fois de plus.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant ce premier volume du Siège des Exilées. Avez-vous apprécié la manière dont la thématique est abordée ? Trouvez-vous que l’on a le droit à une justesse dans les propos tenus ? Avez-vous une certaine sympathie et de l’empathie pour ce tandem que l’on suit principalement ? Pensez-vous qu’ils pourront réellement avoir un jour une vie banale ? Est-ce que cette introduction est parvenue à vous faire réfléchir sur les nombreux sujets traités ? Qu’attendez-vous pour la conclusion de cette œuvre ? On reste à votre disposition pour pouvoir échanger, discuter et débattre autour de ce sujet 🙂