Le Ohkubo Universe
Après déjà deux rendez-vous autour de nos artistes préférés qui se cachent derrière certains mangas, il est grand temps de découvrir l’univers d’un autre auteur. Vous l’aurez compris en lisant le titre, on est reparti pour tenter de voir ce qui fait le style si particulier d’un artiste à travers les œuvres qu’il a réalisé. Jusqu’à présent, on s’est attardé sur des personnes qui avaient déjà pas de séries à leur actif et qui avaient pu perfectionner leur propre vision du manga. Cependant, on s’est dit qu’il serait pertinent de se pencher aussi sur des gens qui n’ont pas forcément un nombre incroyable de séries réalisées, mais qui ont parfaitement su exprimer leur manière d’écrire une histoire ainsi que leur approche du divertissement. C’est pour ça que l’on va s’attarder dans cette chronique à un mangaka qui a su proposer son imagination débordante à travers deux sagas. Il s’agit de Atsushi Ohkubo que l’on va mettre en avant à travers Soul Eater et Fire Force, respectivement édité chez Kurokawa et Kana. Comme toujours, il s’agit avant tout de notre propre ressenti sur l’auteur que l’on a pu avoir en lisant ces deux titres et nous serions très intéressé de connaître votre vision de son travail. Sans plus attendre, il est temps de rentrer dans le cœur du sujet !
Soul Eater – le récital des âmes
On commence par, bien évidemment, la première œuvre significative de Atsushi Ohkubo qu’est Soul Eater. En plus d’être une série que l’on apprécie tout particulièrement, il est important de s’arrêter sur quelques points qui vont être révélateurs du style si particulier du mangaka et qui vont aussi résonner dans la licence qui va suivre juste après. Très vite, on remarque dans cette aventure littéraire une propension à l’exagération et à un univers extravagant. En fait, cette saga se démarque aisément des autres non pas par ce côté un peu fou, mais surtout par sa direction artistique et cette ambiance qui s’empare de nous pour nous emmener sur des terres à la fois fantastiques, mais aussi d’une grande noirceur. On sent cette volonté de proposer un récit qui se veut décalé afin que l’auteur puisse exprimer toute l’étendue de sa créativité et de son imaginaire. C’est sûrement l’un des éléments fondateurs du style d’Ohkubo qui ne souhaite pas se centrer sur quelque chose de réaliste dans la forme, mais qui peut pourtant apporter énormément de sujets importants dans le fond. Pour en revenir à l’aspect global de Soul Eater, il y a ce sentiment de vivre une aventure qui nous dépasse totalement par sa grandeur, sa richesse, mais aussi ses personnages qui nous paraissent aussi impressionnants que loufoques. Le mangaka désire que l’on s’attache à eux par cet aspect amusant sans pour autant délaisser le sérieux de chacun, mais aussi qu’il y ait ce sentiment que l’on a devant nous des êtres extraordinaires. Des âmes qui nous éblouissent et nous font vibrer provenant tout droit de son esprit particulièrement fertile en idées aussi improbables que captivantes. Cette faculté à nous faire adhérer à cette fantasy qu’il a créée de toute pièce contribue beaucoup au plaisir de la découverte de Soul Eater.
Un ouvrage qui s’affranchit des lois de la réalité pour simplement nous faire participer à une épopée comme rarement on en a vécu. Ce surnaturel ambiant va être un peu une marque de fabrique du mangaka qui semble souhaiter nous faire franchir une frontière qui permet de s’éloigner de notre quotidien pour vivre une expérience grandiose. En fait, Soul Eater est un parfait terrain de jeu pour Ohkubo qui s’en donne à coeur joie pour retranscrire sur le papier tout ce qui anime son imaginaire tout en y incorporant des thématiques qui viennent parfaitement se mêler à cet univers. On pourrait croire que laisser sa créativité s’exprimer pourrait donner un résultat hétérogène sans forcément que tout s’assemble. Pourtant, cette saga fait preuve d’une cohésion remarquable au niveau de chaque petit détail. Rien n’est laissé au hasard et montre que si Atsushi Ohkubo aime aller dans des récits barrés, il est aussi un excellent architecte sachant construire une histoire qui ne s’éparpille pas dans plein d’éléments superflus. De même, chaque acteur de son scénario finit toujours par apporter un plus non négligeable à la profondeur du manga tout en abordant de nombreux sujets différents pouvant à la fois être tournés en dérision que présenter avec bien plus de sérieux. Il est évident, la première fois que l’on a lu Soul Eater, que l’on a d’abord été fasciné par cette atmosphère hors du commun qui imprègne l’ensemble de la licence. Mais plus on s’attardait sur certains passages et plus on se rendait compte de ce qui se cache réellement derrière cette douce folie. Un récit bien plus sombre, et même parfois dramatique, qui ne va être que le prélude à un style que Ohkubo va grandement perfectionner dans la série qu’il entame juste après. Soul Eater fut un succès pour cet auteur, mais surtout un très bon moyen pour lui d’expérimenter tout ce qu’il avait en tête pour finalement se lancer dans un projet de bien plus grande envergure dans ce qui est de l’écriture, mais aussi du décor à mettre en place.
Fire Force – La flamme ardente de l’auteur
Si Soul Eater fut un marchepied pour l’auteur afin d’affiner ses idées, mais aussi cet univers qui lui est propre, Fire Force est le titre, selon nous, qui va lui permettre de déployer pleinement ses ailes. Il est vrai que l’on change tout de même radicalement d’ambiance entre le contexte de sa première grosse série et celle-ci. Pourtant, il ne faut absolument pas longtemps pour retrouver pleins de petits détails qui nous rappellent cette ancienne épopée. Par exemple, cette saga ne va pas hésiter à amener ce brin de folie, parfois comique et quelques fois sinistre, qui caractérise les œuvres de l’auteur. On peut facilement voir en Fire Force un manga qui affiche un combo efficace d’humour et de combats dantesques. Malgré tout, il est pertinent de voir au-delà, car il s’agit sûrement de son aventure la plus soignée et la plus travaillée. Le calme apparent et les personnages haut en couleurs que l’on rencontre cache une histoire aux tournures dramatiques et à un chaos qui ne cesse de prendre de l’ampleur au fur et à mesure de notre progression. Cette fois, l’imaginaire de l’auteur va permettre de poser rapidement des bases solides à un univers à la fois accrocheur, complètement dingue, et regorgeant de possibilités. Le lecteur s’immerge alors très rapidement dans ce monde où la mort plane dangereusement sur chacun. On retrouve là encore une thématique récurrente, mais vue d’une autre manière que dans Soul Eater. Les âmes laissent place à des cadavres ambulants rongés et transformés par les flammes. Un constat qui montre que le fantastique et le surnaturel sont utilisés de manière à aborder des sujets graves qui vont résonner chez le lecteur, car il est directement témoin de la souffrance et du calvaire de ces victimes. Quand on y pense, Fire Force est loin d’être une saga vraiment joyeuse, car même la comédie et l’action ne peuvent désarmer totalement la violence de ce récit qui souhaite justement nous happer dans cette spirale infernale.
C’est là que l’on peut entrevoir pleinement toute l’essence du style d’Atsushi Ohkubo qu’il ne cesse d’aiguiser au fil des chapitres. L’imaginaire dont il fait preuve est autant une invitation à explorer des univers incroyables que de nous montrer qu’ils peuvent aussi être utilisés pour nous faire réfléchir sur bon nombre de questions. Fire Force ne se contente pas d’évoquer ce conflit entre la vie et la mort, mais va aussi aborder des thématiques complexes comme le deuil, la religion, la folie et bien d’autres. Il suffit de voir la minutie dont notre artiste fait preuve pour écrire le personnage de Shinra pour entrevoir tout ça. Il a su, en deux licences, trouver un formidable équilibre entre un divertissement prenant et une histoire qui ne suit pas aveuglément les codes du genre. Cela rend chacune de ses épopées aussi originales que fascinantes pour le spectateur qui ne peut détourner de toutes ces scènes. Atsushi Ohkubo est autant un scénariste émérite qui combine habilement créativité et sérieux tout en ayant un coup de crayon qui va habilement représenter ça en étant à la fois cartoonesque par moment et bien plus sinistre quand les événements prennent une tournure plus grave. Voilà un mangaka qui a su se créer une zone façonnée de ses propres mains au fil de son imaginaire et qui veut aller bien plus loin que la simple aventure plaisante. A travers sa plume, il veut créer des histoires comme on a rarement l’occasion d’en voir et qui dégagent cette aura qu’il a lui-même imaginée au fil du temps. Des fictions où les rires et les larmes peuvent se croiser à tout instant. Cependant, le plus formidable dans sa manière de concevoir, c’est qu’il parvient, à travers ses deux ouvrages, à proposer des périples qui peuvent s’adresser à tous. Si l’on désire juste une aventure au rythme effréné, à l’action frénétique et aux gags efficaces, on peut trouver notre bonheur dans Soul Eater et Fire Force. En dehors de ça, ces deux aventures littéraires peuvent aussi combler ceux qui vont prendre le temps de décortiquer ce qu’il y a réellement derrière ces intrigues. Un auteur au très grand talent et qui continue d’améliorer sa vision du manga au fil de ses dessins. Voilà un artiste qui a parfaitement su combiner deux tableaux bien différents pour en faire une fresque aux multiples nuances.
On espère que cette petite rétrospective vous aura plu et bien évidemment, il s’agit de notre ressenti par rapport aux diverses œuvres du mangaka. N’hésitez pas à nous dire en commentaires ce que vous avez pensé de cette chronique et aussi votre vision du travail d’Atsushi Ohkubo. On reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre sur le sujet.
© Ohkubo Atsushi