Gotô

Le clan Gotô : un mal que rien n’arrête

C’est la semaine spéciale Halloween sur le site et l’on avait envie de remettre en avant un ancien type d’article pour l’occasion. Il s’agit des focus sur les personnages et cette fois il n’est pas question d’un seul individu, mais de tout un groupe. En effet, on vous amène au cœur de Gannibal, édité chez Meian, et plus précisément au contact du clan Gotô. Ce dernier représente le principal opposant à notre cher agent de police et on trouvait très important de s’attarder sur cette menace que ces individus représentent. Il faut dire qu’ils contribuent énormément à l’impact que peut avoir le manga sur le lecteur tant ils arrivent à être effrayants et humains. Une famille lourde de secrets et qui ne va pas trop apprécier de voir un autre membre des forces de l’ordre s’intéresser à leurs affaires. Là où on a l’habitude de voir des êtres terrifiants exposant rapidement leur noirceur, ce clan parvient à se jouer de nous avant de montrer son vrai visage. Un ennemi dont il semble impossible de s’échapper et qui resserre son étreinte au fur et à mesure des chapitres. On espère donc que vous êtes prêts à une petite virée au sein du village de Kuge.

Un sourire terrifiant

Gannibal-inquiétude

La première chose à savoir concernant ces personnages sortis tout droit de l’imagination de Masaaki Ninomiya concerne leur apparition. Le lecteur va, au même titre que Daigo, découvrir le village de Kuge et ses habitants au fil des pages. C’est finalement à la suite d’un tragique événement que le policier va faire la rencontre des membres du clan Gotô à qui il va donner un coup de main pour retrouver leur matriarche. Il ne faut que quelques pages pour comprendre que quelque chose ne va pas concernant cette étrange famille. Se présentant comme amicaux et agréables au premier abord, il suffit d’une hésitation de la part de notre héros pour que l’un d’entre eux s’énerve d’un coup et laisse échapper une menace. On est rapidement terrifié par ce brusque changement d’attitude et surtout par le revirement qui vient tout de suite après sous couvert d’une farce. Dès le départ, le mangaka veut mettre son protagoniste et le lecteur dans une position délicate où on ignore sur quel pied danser face à ces gens. En fait, cette rencontre va être l’élément déclencheur qui va insuffler cette inquiétude qui ne nous lâchera plus jamais au sein de ce hameau. En quelques secondes, ces individus ont su semer le doute dans notre esprit et montrer que le délire du prédécesseur de Daigo pourrait avoir un fond de vérité. La construction de cette menace ici est fascinante étant donné qu’elle va se déclencher en quelques instants pour un effet sur le long terme. Ainsi, même quand tout semble aller pour le mieux, on a ce souvenir qui revient nous hanter comme pour nous mettre en garde de ces individus qui font comme si de rien n’était. Ils ont su imposer leur emprise sur nous en un claquement de doigts et cela rend justement cette expérience littéraire aussi prenante.

On va constamment se demander à quel moment le coup de massue viendrait s’abattre sur notre héros et les siens. Une attaque qui tarde à venir et qui nous maintient donc dans un état d’alerte constant. Il arrive même par moments que l’on se dit que tout ça n’est que le fruit de notre imagination et qu’il s’agit juste d’un groupe préférant vivre reclus sur lui-même. C’est toujours au moment où l’on baisse la garde qu’ils repassent à l’attaque sans pour autant franchir la ligne rouge qui les ferait basculer en tant que véritable ennemi à abattre. C’est justement ce jeu de va-et-vient entre leur sourire de façade et leurs réelles intentions qui les transforment en une troupe d’antagonistes qui nous prend aux tripes. On se retrouve au centre d’un face-à-face qui ne se veut pas direct, mais représenté par tout un tas de situations où le malaise que l’on ressent grandit à toute vitesse. En misant sur cette faculté pour les Gotô de passer d’un visage à l’autre en quelques cases, le mangaka permet ainsi d’étoffer son répertoire en matière d’effroi. Sans même nous en rendre compte, on est prisonnier de ce clan qui s’amuse tout simplement avec nous. Une apparition de leur part insuffle la crainte alors qu’ils peuvent totalement ne rien faire de spécifique. La mise en garde est totale et l’on prend conscience du rôle qu’ils ont sur ce domaine coupé du reste du monde. Si certains membres sont plus sanguins que les autres, ils ont aussi des têtes pensantes qui vont donner une dimension encore plus grande à cette menace qui n’est pas uniquement physique. Ils sont une organisation pouvant agir n’importe où dans ce village et surtout à n’importe quelle heure. Brutaux, rusés et se considérant dans leur droit, cette famille enfonce ses griffes dans sa proie qui ne peut jamais s’échapper réellement.

Nul n’échappe à leur attention

Voilà un élément très important dans l’écriture du clan Gotô en tant que principal antagoniste de ce récit. Il n’est pas rare dans Gannibal, à travers les villageois, de se sentir constamment observé. On est pleinement conscient de ces regards qui scrutent Daigo et qui nous donnent presque la sensation qu’ils sortent des cases pour se poser directement sur nous. Cependant, les membres de cette famille amènent ce sentiment à un tout autre niveau au vu de leurs capacités. En effet, peu importe ce que fait notre agent de police, on constate toujours que ses opposants semblent avoir un coup d’avance sur lui. Ils sont les maîtres des lieux et de ce fait rien ne se passe ici sans qu’ils ne soient au courant de ça. Ils donnent l’impression d’être omniscient par rapport aux agissements des habitants de Kuge et cela comprend Daigo et sa famille. C’est justement ce qui les rend aussi menaçants. Ils peuvent à tout moment débarquer pour mettre en péril la fragile sécurité que notre protagoniste tente d’apporter à ses proches. On se retrouve donc aux prises avec un adversaire bien réel, mais dont l’autorité semble impossible à contrôler. Personne n’ose s’opposer à eux au vu de ce qu’ils sont capables de faire et l’emprise qu’ils ont sur une bonne partie de la région. Le lecteur a beau assister à de nombreuses tentatives de notre protagoniste de se défaire de leur regard ou de les avoir par surprise, ils finissent toujours par trouver une solution pour contrecarrer ses projets. Une impuissance qui va nourrir cette peur de devoir faire face à eux, mais aussi renforcer la détermination de Daigo à comprendre ce qu’il se passe.

En effet, cela peut paraître paradoxal, mais plus le clan Gotô montre l’étendue de son influence et plus cela motive cet agent de police à redoubler d’efforts. Cette pression omniprésente est donc autant un facteur important de l’angoisse ressentie qu’un levier pour développer le personnage central de cette histoire. On est dans ce cas de figure où l’antagoniste va permettre au héros de ressortir plus fort et surtout de se dépasser quitte à se mettre en danger. Une escalade de la colère et de la brutalité qui s’inscrit dans une démarche voulue du mangaka. D’ailleurs, on pourrait même dire qu’il fait exprès de donner autant d’aura à ce groupe pour justement réveiller la vraie personnalité de ce protagoniste qui est très loin d’être un enfant de chœur. En s’aventurant dans leur antre, Daigo comprend que son autorité en tant que membre des forces de l’ordre ne suffira peut-être pas. Le clan Gotô n’est rien d’autre que l’adversaire idéal pour faire hésiter celui-ci sur la marche à suivre. Alors que son devoir lui dicte d’agir en conséquences des lois, ses interactions avec eux le pousse à remettre en question cette vision des choses. Pour arrêter des monstres, il se doit de se défaire de toutes entraves pour enfin jouer sur leur propre terrain. Le manga est sublimé justement à travers cette relation malsaine qui existe entre ces deux camps dès l’instant où ils se sont rencontrés. L’espionnage est leur meilleur outil pour pallier à toute éventualité afin d’étouffer toute rébellion dans l’œuf. Un opposant qui sait très bien comment mener sa barque et surtout détruire leurs ennemis par la peur.

Un contrôle par la peur

Clan Gotô - peurComme dit un peu plus haut, le clan Gotô est un opposant dont l’arme la plus efficace est la peur qu’il inspire aux autres. Qu’il s’agisse des habitants de Kuge ou bien des nouveaux arrivants, ils prennent un malin plaisir à asseoir leur domination sur eux. Il ne s’agit pas ici de profiter ensuite de ça pour faire ce qu’ils veulent. Bien au contraire, ils font tout ça pour qu’on les laisse en paix afin qu’ils puissent faire leurs affaires sans intervention extérieure. On pourrait alors se dire que creuser plus en profondeur ne ferait que poser plus de problèmes que si Daigo restait tout simplement tranquille. C’est grâce à ça que l’auteur parvient à capter l’attention du lecteur. Il n’est pas question ici d’un adversaire qui veut à tout prix s’imposer comme une menace. Les Gotô font avant tout leur apparition pour stopper toute approche que l’on pourrait avoir à leurs égards. Ce sont eux qui décident si telle personne a le droit d’aller à leur rencontre ou si elle peut jouer un rôle dans leurs macabres traditions. Leur présence sur ces terres est là depuis bien longtemps et ils ont su imposer leur vision des choses à tous ceux qui deviendraient leurs voisins. Ce qui fait qu’il n’est même plus nécessaire pour eux d’agir directement tant leur réputation les précède. On est face à un ennemi dont le simple nom suffit amplement à faire taire le plus bavard des personnages. Ils ont largement dépassé le cadre de simple ennemi à abattre et sont devenus presque une entité intouchable de ce village où chacun craint de subir leur courroux. C’est cet enfermement sur eux-mêmes qui a créé la prison parfaite pour tous ces habitants qui sont maintenant à la merci de ce maître dont on ne peut dire le nom.

D’ailleurs, il est important de noter que chaque apparition du clan Gotô finit toujours par créer un malaise ambiant autour d’eux. A tel point que personne ne vient jamais rester autour d’eux. Chaque confrontation entre ce groupe et Daigo se fait sans qu’il n’y ait de témoins directs à leur discussion. Une simple présence suffit à faire fuir ces gens qui veulent tout bonnement que leur paix relative soit préservée. Cette absence de résistance va sublimer cette atmosphère pesante qui gravite autour des représentants de cette famille sans pour autant que l’on ait l’impression que tout ça n’est que du vent. Pour empêcher ça, le mangaka utilise à merveille son protagoniste pour montrer les raisons qui ont poussé les autres civils à ne pas se dresser sur leur route. Ils sont capables de beaucoup de choses pour montrer qu’ils peuvent atteindre n’importe qui et que le fait d’intégrer cet endroit signifie se plier à leur autorité. Même un électron libre comme Daigo doit se rendre à l’évidence de la portée de leurs actes. Ils n’ont même pas besoin d’en venir forcément aux mains pour montrer leur dangerosité. A la fois nombreux et possédant de multiples talents, ils trouvent toujours un moyen de frapper là où ça fait mal. De plus, comme pour souligner leur propre détermination à conserver leur suprématie, ils peuvent sans problème sacrifier l’un des leurs pour éloigner les curieux. Se rapprochant énormément d’une secte dans leur manière d’agir et d’enfermer leurs proies dans une cage pour mieux les briser, ils sont des antagonistes difficiles à combattre tant ils maîtrisent leur terrain.

Les monstres qui cachent le démon

Avec tout ce que l’on vient déjà d’analyser, on pourrait facilement croire que cela ne pourrait pas être pire. Pourtant, le clan Gotô cache un autre atout dans sa manche capable de renverser à tout moment la situation. En effet, une ombre bien plus imposante se dissimule derrière les agissements de cette famille. Cet inconnu, qui semble errer dans les allées du village dès que la nuit tombe, est autant oppressant que fascinant. A chaque fois, on ne le croise que subrepticement le temps de quelques cases et pourtant cela suffit amplement à nous donner des frissons. Alors que les membres de ce groupe savent pertinemment quelle est la limite à ne pas franchir sauf en cas d’extrême urgence, ce vieillard à la force démesurée n’en a que faire. Dès qu’il apparaît, personne ne semble plus pouvoir rien faire. Même les Gotô ne peuvent que rester figés face à celui qui semble représenter le véritable danger de ce lieu. Tel un croque-mitaine qui apparaît et disparaît à sa convenance, cet homme fait de chair et de sang est pourtant presque montré comme une entité surnaturelle. Une créature que rien ne peut arrêter et qui est là pour agir quand les autres ne peuvent plus le faire. Rien que par sa présence, cet acteur va réussir à créer un énorme fossé au sein de cette famille. Ce décalage est si bien réalisé que l’on en arrive même presque à préférer se confronter aux hommes ordinaires de ce clan plutôt qu’à ce prédateur qui ne craint personne. D’ailleurs, c’est une excellente idée de la part de Masaaki Ninomiya de rendre ses apparitions aussi peu nombreuses.

Cela le rend encore plus important étant donné que chacune de ses entrées en scène est pensée pour marquer l’esprit du lecteur. Il suffit de voir là première fois où l’on pose le regard sur lui pour comprendre qu’il est le plus terrifiant adversaire qui puisse exister ici. Une rencontre à laquelle Daigo ne participera pas et qui se passera uniquement entre cet homme, la fille de Daigo et le spectateur. Cet inconnu représente énormément de choses au sein de Gannibal. Il est le plus grand danger, une immense source d’interrogations, mais aussi une bête qui a fait de Kuge son antre. On ne se rend donc que trop tard que l’on est sur son terrain de chasse et même l’opposition entre son âge avancé et la force dont il fait preuve a de quoi nous déstabiliser. Si son apparence nous donne le sentiment d’avoir face à nous un vieillard qui ne pourrait se défendre, la vérité est toute autre. Agile, puissant et surtout d’une grande résistance, il est une anomalie au sein de cet univers. Un élément qui vient troubler un polar déjà bien ficelé pour le faire basculer dans le récit horrifique et en faire un monstre qui frappe toujours au moment où l’on si attend le moins. Le clan Gotô parvient ainsi à jouer sur deux tableaux bien distincts représentant la peur. D’un côté, nous avons les membres ordinaires de ce groupe qui sont là pour créer cette atmosphère oppressante et réaliste. Un adversaire sournois qui peut agir de bien des manières pour chasser les intrus. De l’autre, nous avons ce chasseur naturel qui n’a pas besoin de plan pour venir à bout de ses proies. Sans même la prévenir et qu’elle soit consciente de l’épée qui se dresse au-dessus de sa tête, sa cible est déjà prise dans la mâchoire de cet antagoniste.

Le clan Gotô lance les hostilités

Si Gannibal est aussi prenant à lire, c’est justement grâce à cet adversaire qui va très vite prendre d’assaut la quiétude de Daigo ainsi que celle du lecteur. Sans même crier gare, ils vont commencer à planter leurs serres dans la peau de leur nouvelle victime afin de la conduire exactement là où ils veulent. Si notre policier se montre comme un redoutable ennemi pour eux, ils ont largement de quoi faire pour montrer qu’il ne faut pas les sous-estimer. Un ennemi affichant un double visage et où l’on ne sait pas lequel est le pire entre cette famille à l’autorité terrifiante et cet exécuteur que rien n’arrête. A chaque fois que l’on pense que cela ne pourra être pire, ces derniers parviennent à nous surprendre et à montrer à quel point ils méritent leur place en tant qu’antagonistes de ce récit. Cela faisait bien longtemps que l’on n’avait pas vu un adversaire aussi remarquablement bien écrit et qui va non pas s’étendre à un seul individu, mais bel et bien à toute une organisation. Un regroupement d’individus qui commet des actes impardonnables, mais qui savent très bien se défendre pour protéger leur effroyable mode de vie. En plus d’avoir face à nous des ennemis redoutables et qui s’avèrent particulièrement bien écrits, ils vont aussi avoir un rôle qui n’est pas à négliger tant cela renforce l’impact de ce manga sur nous. Il s’agit tout simplement de l’influence qu’ils ont sur notre cher Daigo. Alors qu’il espérait offrir un cadre de vie idéal à sa famille et s’éloigner de ses vieux démons, c’est tout le contraire qui se passe. Il se croyait au paradis, il a finalement embarqué pour un voyage en enfer.

Face aux Gotô, notre policier n’a pas d’autres solutions que de renouer avec ce qu’il est vraiment et même de s’enfoncer un peu plus dans les ténèbres de son cœur. Ces monstres ont créé un autre monstre qui ne s’arrêtera qu’une fois que tous ses opposants seront arrêtés. Ils sont autant une menace palpable qu’une représentation de cette obscurité qui hante chaque être. Des pulsions presque animales qui peuvent se réveiller à tout instant et faire le jeu de ce clan loin d’être aussi stupide qu’on pourrait le croire. Avec à sa tête des dirigeants rusés et une force de frappe conséquente, mieux vaut partir loin de Kuge plutôt que d’essayer de leur résister. La question est maintenant de savoir si Daigo sera à même d’arrêter leur macabre cérémonie. Et puis il faut aussi voir à quel prix la victoire serait obtenue. Avec actuellement six tomes en France et bientôt un septième, le clan Gotô s’est déjà hissé comme un remarquable méchant dont la complexité n’a d’égale que le talent de l’auteur pour en faire un rouage important de l’effroi qu’il souhaite nous faire vivre. On espère que ce nouveau focus d’un personnage vous plaira. N’hésitez pas à nous partager dans les commentaires votre propre avis sur ces quelques individus peu fréquentables. On a hâte de discuter avec vous de ce sujet.

Gannibal- Gotô monstre

© 2018 Ninomiya Masaki, Nihon Bungeisha

2 Comments

  • Julien dit :

    J’adore vraiment ce manga, très sombre mais pas que.
    Il traite aussi des non-dits, les villageois qui ferment les yeux, certes par crainte de représailles, mais aussi car ils ne veulent pas savoir, ni connaître la vérité.
    Daigo est un personnage assez troublant, lui aussi n’est pas forcément le policier propre et lisse.
    De plus, les ramifications du clan Goto sont impressionnantes, et vont bien au-delà du village.
    Mais même dans le clan Goto, des gens veulent que ça change, mais la fidélité ou plutôt la tyrannie au sein du clan est plus forte que la volonté personnelle.

    • EspritOtaku dit :

      Merci beaucoup pour ton commentaire !
      Tu as tout fait raison et Gannibal va bien plus loin qu’un récit horrifique.
      C’est un titre qui aborde énormément de sujets et où chacun a une part d’ombre.

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