Goule

Le bestiaire du manga : les goules de Tokyo

Je suis très heureux de vous proposer aujourd’hui un tout nouveau rendez-vous qui deviendra récurrent sur le site. En effet, j’ai toujours eu à cœur d’explorer toutes les facettes du monde du manga et de ses histoires. Cela amène forcément de nombreux sujets possibles à traiter et il y a quelque chose qui m’a toujours intéressé. Il s’agit de l’imagination dont font preuve les auteurs pour créer ou proposer leur propre vision d’une créature. Les ouvrages en sont parsemés et elles contribuent à consolider un récit d’une manière ou d’une autre. Cela peut sembler anodin, mais il arrive aussi que des monstres puissent jouer un rôle déterminant dans notre appréciation d’une œuvre ou d’un arc narratif. Je vais donc prendre le temps ici de décortiquer et d’analyser ce qui fait l’attrait de ces êtres surnaturels qui ponctuent notre aventure. Pour cette première, je me suis dit qu’il serait pertinent de se pencher sur un bon représentant de ce qu’un monstre peut apporter en matière d’écriture. C’est pour ça que je vais aborder dans cette chronique nos amies goules qui sont au cœur de Tokyo Ghoul chez Glénat. Un très bon exemple et j’espère que vous n’avez pas trop d’appétit !

Des monstres de l’ombre

Goule - morsureIl est vrai que l’image de la goule dans l’imaginaire collectif est celle d’une créature malfaisante dont le principal plaisir est de se nourrir de chair humaine. Quand on remonte au mythe de cette entité, on apprend qu’elle affectionne tout particulièrement les lieux ponctués de cadavres comme les cimetières. Il n’est d’ailleurs pas rare que ces monstres fassent leur apparition dans de nombreuses fictions sous divers médias. Mais Sui Ishida, mangaka de Tokyo Ghoul, a su amener une réinterprétation très intéressante au sein de son histoire. A la fois plus contemporaine et humaine, la goule est ici présentée comme une menace potentielle pour la population civile. Des êtres qui se cachent dans l’ombre et doivent impérativement se nourrir pour survivre et donc partir chasser des cibles isolées. Ce qui peut faire penser à une scène de crime est en réalité le travail d’une goule ayant succombé à ses pulsions. On nous met ainsi rapidement devant l’horreur qu’ils peuvent représenter notamment par rapport au premier contact qu’a Kaneki avec l’une d’entre elles. Dès cette première scène, il se passe quelque chose de fort par rapport à la vision du mangaka de ces cannibales. Il en fait des individus qui peuvent totalement se mêler à la population. Mis à part quelques travaux de recherches ou techniques spécifiques, il est presque impossible de déceler le vrai du faux au sein des foules. Ainsi, l’image souvent macabre de ces bêtes est ici encore plus effroyable, car on ne sait jamais qui peut être une proie et qui est le prédateur. On se projette à la place de notre protagoniste et l’on est terrifié en voyant la vérité qui se cache derrière cette sublime femme. En plus de ça, le mangaka va aussi ajouter cet atout propre aux goules qui va accentuer l’aura morbide qui s’en dégage.

Des êtres à la puissance extraordinaire avec lesquels un être humain ordinaire ne peut lutter. Il veut donc nous imposer un rapport de force totalement déséquilibré afin de souligner le sort funeste qui attend n’importe quelle rencontre avec ces individus. Un loup parmi les hommes, mais qui pourtant va amener une réflexion intéressante. S’ils sont aussi puissants, pourquoi reste-t-il dans le monde de l’ombre plutôt que de prendre le pouvoir ? Une interrogation qui va rapidement s’expliquer par le fait qu’ils sont loin d’être aussi nombreux que ceux qui les chassent. Un groupe redoutable qui pourtant n’a pas la force de frappe nécessaire pour renverser le pouvoir. Surtout que l’on prend aussi conscience que certaines goules ne désirent pas être sur le devant de la scène. Là où des monstres existent bel et bien se cachent aussi des victimes qui ne veulent pas être traquées à cause du triste statut qui est le leur. On a ainsi une dualité fascinante dans Tokyo Ghoul entre cette image néfaste que l’on veut nous montrer et ce qu’ils sont aussi réellement. La créature amatrice de chair humaine laisse planer un doute quant à son humanité. Un parti-pris qui va prendre tout son sens au fur et à mesure que l’on avance dans le récit et qui va montrer que derrière une créature ancrée depuis longtemps dans la culture populaire, il est possible d’écrire une histoire bien plus profonde que d’en faire un simple ennemi. Les occasions sont très nombreuses dans le manga pour montrer que les goules peuvent être abjectes et ne pensent qu’à rassasier leur appétit féroce quitte à transformer ça en un jeu pour eux. Là où les humains ont su s’unir pour veiller à cette menace de l’ombre, leurs ennemis sont aussi dispatchés en plusieurs petits camps qui peuvent autant s’entraider que s’affronter. Une société secrète derrière ce quotidien lambda que mènent les gens lambdas.

Les victimes d’un terrible drame

En effet, Tokyo Ghoul est un manga qui veut autant sublimer l’horreur que peut insuffler une goule que d’en dévoiler une toute autre facette. Si l’image de ces monstres est plus que réussie et arrive à créer ce malaise en côtoyant l’un de ces êtres, le mangaka va aussi tout donner pour nous montrer que cela n’est pas une généralité. A travers la transformation de Kaneki et la rencontre de ses nouveaux camarades, on nous montre qu’être une goule n’est pas synonyme uniquement de puissance et d’une faim insatiable. C’est aussi un calvaire constant pour ceux qui n’ont jamais demandé à finir comme ça. Si certains se complaisent dans ce statut, beaucoup voient ça comme une malédiction les empêchant de mener une vie ordinaire. Cela est brillamment mis en scène à travers le protagoniste, mais aussi la majorité des gens qui gravitent autour de lui. On a beau avoir quelques individus qui font des efforts surhumains pour dissimuler leur état et se raccrocher à un semblant de vie ordinaire, il finit toujours par y avoir un retour de bâton. La série va ainsi dissocier deux visions diamétralement différentes de ce que c’est qu’être une goule et nous tirailler entre la peur que l’on peut éprouver et une profonde tristesse à leur égard. Après tout, la plupart ne sont eux aussi que des victimes n’ayant rien demandé. On est donc aussi ici dans une recherche afin d’humaniser une créature qui, à la base, n’a rien d’humain. Tokyo Ghoul est un excellent exemple que l’imagination d’une personne peut amener à percevoir une toute nouvelle direction pour un sujet qui semblait déjà bien ancré dans l’esprit de tout le monde. Sui Ishida va ainsi multiplier les scènes où nos protagonistes partagent leurs peines et leur peur de ce statut qui est le leur.

La figure terrifiante qu’ils sont censés représenter leur procure à eux aussi des frissons d’effroi. La goule a peur d’elle-même et c’est fantastique d’avoir su amener une telle écriture dans l’image de cette entité. Une autre manière de montrer l’homme derrière le monstre et ainsi nous expliquer à quel point la notion de bien ou de mal n’existe pas dans ce manga. Il s’agit avant tout du récit de nombreuses âmes qui vont tous chercher à trouver leur place dans ce monde qui ne veut pas d’eux. Certains se laissent aller à la violence tandis que d’autres choisissent une voie plus pacifique et discrète. En plus de ça, cette série ne se limite pas uniquement à nous montrer la diversité au sein de ce camp. Elle va aussi souligner à quel point l’être humain peut aussi être une créature terrifiante quand on se tourne vers les ennemis naturels de nos héros. Quand l’action prend le pas sur tout le reste, on contemple des soldats aguerris qui n’ont pas le moindre scrupule à tuer les cibles devant eux. Il y a même quelques personnes qui semblent prendre du plaisir à ça. Goules ou humains, on nous montre au sein de ces pages que ces noms ne désignent pas le bien ou le mal. Il y a autant du bon et du mauvais dans l’un comme dans l’autre. Une opposition qui va rythmer l’ensemble de la saga et va amener le lecteur dans une position délicate et qui va grandement contribuer à notre appréciation de l’œuvre, mais aussi de notre sujet du jour. On finit, sans même nous en rendre compte, par apprécier ces créatures qui autrefois nous auraient donné des frissons. Bien sûr, il y a des monstres qui réussissent à se conformer à l’origine de ces dévoreurs de chairs. Mais en grande partie, on finit par s’attacher à ces gens qui évoluent en parallèle du monde et qui doivent s’entraider alors que le monde entier considère qu’ils sont des pestiférés.

Quand les goules s’émancipent

Goule - Tokyo GhoulTokyo Ghoul est un manga qui nous a marqué par bien des aspects. Une série fantastique au niveau de l’écriture de cet univers, mais aussi du développement des personnages et de leur calvaire. On va ainsi aborder des thèmes forts qui entrent en résonance avec tout ce qui entoure le mythe des goules. Des gens qui semblent ne plus faire partie des vivants alors qu’ils cherchent juste à retrouver ce quotidien qui leur semble si lointain. C’est encore plus flagrant lorsque l’on observe certaines scènes particulièrement déchirantes. On peut citer celui où cette jeune fille et sa mère se retrouvent traquées par les inspecteurs. Le témoin silencieux que l’on est ne peut que sentir une profonde injustice en voyant tout ce qui se passe alors qu’elles ont juste souhaité vivre en paix. Une réflexion importante sur notre propre humanité et sur le fait de savoir ce qui fait vraiment de nous des êtres humains. Voilà pourquoi j’avais à cœur de parler de cette partie du bestiaire manga, car on voit très clairement qu’une bête mythique peut inspirer une histoire fabuleuse et qui s’inscrit pleinement dans l’époque actuelle. Bien sûr, Tokyo Ghoul nous délivre des combats spectaculaires et un divertissement de haute volée, mais il est tout aussi important de voir ce qu’il y a au-delà de ces aspects. Ce manga nous fait vibrer par cette faculté à transformer le monstre en un être apeuré, craintif et désireux de vivre. Ce que l’on nous décrit entre ces pages est un cycle sans fin de violence où ceux qui cherchent à s’en extirper sont rapidement rattrapés par ces autres individus prenant plaisir à détruire ce qu’il reste de bon en eux. Une lecture qui est tragique sur bien des points, mais qui parvient justement à utiliser cette approche dramatique afin de faire véhiculer un puissant message.

Quand on y pense, Kaneki est le parfait exemple de ce que le mangaka a voulu raconter autour de ces êtres à la fois menaçants et tristes. Un étudiant lambda qui pensait juste pouvoir se rapprocher de la personne qu’il aime. Finalement, l’horreur s’est invitée dans son quotidien en faisant de lui une proie face à cette image universelle de la goule. Ce n’est qu’ensuite qu’il a compris que le vrai cauchemar était de finir comme l’un d’entre eux. Un individu qui se rattache à son humanité malgré son statut et qui fait tout pour ne pas franchir la ligne rouge avant d’être violemment rattrapé par cette réalité. Une appropriation magistrale de la part d’un artiste pour concevoir sa propre vision de ce mythe et ainsi pousser le lecteur à surpasser sa crainte pour découvrir une autre possibilité derrière ces êtres fictifs. J’espère que ce premier numéro du “Bestiaire du manga” vous aura plu et que vous serez intrigué par les prochaines créatures que l’on abordera. N’hésitez pas d’ailleurs à dire en commentaires quels sujets vous aimeriez que je traite par la suite dans ce nouveau rendez-vous. Dites moi aussi quel est votre ressenti sur ces goules qui se cachent au sein de Tokyo. Ces prédateurs pour le commun des mortels sont aussi les proies de ces inspecteurs qui forment un cycle éternel où la mort semble en être le principal moteur. Avec juste cette idée de base de prendre cette monstruosité comme sujet principal, Sui Ishida est parvenu à créer toute une histoire qui a frappé l’esprit de bien des lecteurs. L’imaginaire peut donner vie à des récits inoubliables et une simple créature se transformer en l’âme d’une œuvre.

© 2011 Ishida Sui, Shueisha

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